LES EVENEMENTS DU 26 JUILLET 2023 VUS DE L’EXTERIEUR

Depuis 7 mois, l’idée d’écrire a taraudé l’esprit de plusieurs Nigériens.

Cependant, le sujet étant d’une telle importance et complexité, la période caractérisée par de fortes turbulences, les lendemains empreints d’incertitudes, il est juste de réunir au préalable des éléments d’appréciation afin de mieux comprendre et juger, avec plus ou moins de rationalité, la problématique qui nous est posée.

Car, depuis le 26 juillet 2023, il y a eu une alternance de hauts et de bas, des oscillations et des vacillements socio-politiques et géostratégiques souvent difficiles à décoder. Une chose est sûre, depuis les événements de juillet dernier, notre pays a fait la une des médias du monde entier. Jamais une interruption de l’ordre constitutionnel n’a été si populaire, si souhaitée et si soutenue dans le pays. L’intervention de l’armée a eu le mérite, non seulement de mettre un coup d’arrêt net, inattendu et salutaire, à un processus de caporalisation de l’État clairement perceptible déjà, 3 à 4 ans après l’arrivée au pouvoir du Président Mahamadou ISSOUFOU. Mais elle a surtout gratifié le Niger d’une percée diplomatique inattendue. La notoriété acquise après une semaine de lutte populaire a dépassé tout ce que la diplomatie classique a produit, des indépendances à ce jour. Le Niger a été le centre du monde, et c’est le moins qu’on puisse dire, pendant des jours, voire des semaines durant. De partout, ont afflué les soutiens francs, sincères et massifs.

La cause du Niger a même tiré de leurs réserves habituelles les compagnons de lutte de Mandela, Gandhi, Nehru, MLK, Malcolm X, S. Biko, Sankara, A. Cabral, Nkuruma, Lumumba, Najuma, et que sais-je. Un vibrant plaidoyer, un sentiment d’appartenance à une famille et à une patrie communes, celles des peuples opprimés, oppressés, blessés, martyrisés, exploités, a traversé les peuples du monde entier. Pour ainsi dire, notre combat a été porté et partagé par des citoyens du monde libre, démocratique, humaniste, écologiste et progressiste. Jamais être nigérien n’a été une source de si grande fierté. À présent, il va falloir aller de l’avant, consolider cet acquis, capitaliser ses bénéfices, afin de définir les contours d’un Niger nouveau. Ce capital de sympathie et de soutien qui a généré un éveil de conscience général devrait pousser à poser les jalons de la reconstruction de notre pays, si cher à tous. Dans l’intervalle, nous devons d’abord dissocier le combat idéologique, de la lutte politique, économique et sociale. Sur le plan purement idéologique, avoir réussi le pari de mettre la France et son armée dehors a été une grande et belle prouesse. C’était une victoire à l’onde de choc international, à la hauteur de la surprise et du désarroi des troupes d’occupation. Le camouflet infligé aux Français servira de leçon. Il va permettre aux autres nations du continent d’effectuer un examen de conscience sur les relations entretenues avec la France, de la colonisation à nos jours. Indirectement, tous les pays sous le joug de la France ont pris acte que les lignes ont bougé. Aujourd’hui, il demeure encore des troupes françaises d’occupation en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Gabon, au Sénégal et à Djibouti. Si certains leaders à la solde de la France peuvent encore l’approuver, les dégâts d’une telle présence au sein des opinions publiques sont tels que l’avenir de cette présence s’avère compromis. Donc, tôt ou tard, le Niger sera un modèle de lutte d’émancipation pour certains pays. Une autre victoire idéologique reste le rapprochement au sein de l’Alliance des États du Sahel.

C’est une Union qui donne de la Force.

Cette confédération inattendue des 3 pays (Burkina Faso, Mali, Niger) a déjoué tous les pronostics de la diplomatie classique.

Outre le rapprochement des peuples, la mutualisation des forces, la planification de projets communs structurants, elle a favorisé la création d’un RAPPORT DE FORCE ayant permis au Niger de surmonter les défis conjoncturels auxquels il était exposé, suite à l’embargo, au gel des avoirs, et au blackout énergétique et diplomatique.

Enfin, le dernier succès idéologique reste le sentiment d’appartenance à une nation, un Niger fort, uni et indivisible.

L’appropriation du tout nouvel hymne national, l’incarnation de la devise patriotique LABOU SANNI NO, ZANTCHE KASSA NE, KARAKA LEYDI NONE, ont donné un sens à cette lutte, pour la défense et la sauvegarde de la patrie.

Aucune force d’occupation, aucune menace ou intimidation ne peuvent résister à une telle ferveur populaire.

Macron et ses sbires en auront fait l’expérience à leurs dépens.

De l’avis de tous, le Niger a fait preuve d’une résilience exemplaire.

Ce fut un modèle de courage qui marquera les annales de l’Histoire.

Cette capacité d’endurance fera certainement tache d’huile et pourrait servir de précédent pour les institutions internationales.

Dorénavant, en matière de sanctions internationales, il y aura un avant et un après Niger.

De l’avis de tous, notre résistance n’aurait pas été facile, voire possible, sans le précieux concours et l’assistance du Mali et du Burkina.

Gloire à Dieu Tout-Puissant qui a permis une telle cohésion territoriale.

Mais, comme toutes les révolutions naissent dans la douleur, le défi qui se pose à nous est de savoir comment gérer désormais les difficultés issues de la nouvelle donne.

En premier lieu, il s’agira d’aborder la décision de sortir de l’espace communautaire.

Elle sera analysée à la lumière des récents développements intervenus à Abuja.

Ainsi, avoir pris le courage d’annoncer un dimanche après-midi la sortie des 3 pays de la CEDEAO a été, outre son aspect médiatique retentissant, un acte politique et diplomatique fort, unanimement apprécié au sein des communautés concernées, et partant, en Afrique.

Seuls des politiciens aguerris, des intellectuels visionnaires, des fonctionnaires expérimentés et des diplomates chevronnés peuvent être capables d’une telle prouesse éclectique.

Chapeau aux artisans de cet acte, dont pour certains, les intentions étaient déjà prévisibles depuis des années.

Par cette sortie très médiatisée, les 3 États ont créé un surprenant RAPPORT DE FORCE qui a tétanisé le Comité Exécutif de la CEDEAO, l’UA, l’UE et les Nations Unies.

Une fois cela dit, il faut à présent relever que nous sommes à un tournant de notre Histoire.

 La CEDEAO c’est :

  • Un espace communautaire (15 États membres),
  • Un espace économique (plusieurs milliards de dollars de PIB),
  • Un marché commun (400 millions de consommateurs),
  • Une union douanière,
  • Un espace de libre circulation de biens et de personnes,
  • Une union monétaire impliquant 8 pays (CFA),
  • Une zone d’intégration monétaire disposant d’au moins 4 devises, mondialement reconnues (Naira, CFA, Cedis, CFA) ;
  • Un espace géographique dans lequel 7 langues internationales sont utilisées (Hausa, Peul, Mandingue – Wolof, Français, Anglais, Portugais, Espagnol) ;
  • Des institutions déjà opérationnelles, donc avec une certaine EXPÉRIENCE et EXPERTISE.

Certes, l’Organisation n’est pas parfaite, loin s’en faut.

Cependant, elle a eu le mérite d’exister de 1975 à ce jour, et d’avoir eu des ACQUIS INCONTESTABLES :

  • Passeport unique,
  • Carte d’identité biométrique,
  • La carte brune (assurance commune pour les moyens de transports),
  • Liberté d’installation dans n’importe quel pays membre pendant un certain temps, sans visa (principaux pays d’accueil : Nigéria, Ghana, Côte d’Ivoire),
  • Une certaine harmonisation fiscale et financière ;
  • etc.

Donc, son bilan est globalement bon, satisfaisant au point de faire la fierté de notre région au sein des instances internationales (UA, ONU, UE), dans lesquelles elle a marqué de son empreinte.

C’est un modèle d’intégration dont rêvent encore certaines régions d’Afrique (UMA, SADC, CEAAC, etc.).

L’avenir de la CEDEAO est prometteur, en dépit des écueils.

Les récentes adhésions du Maroc et de la Mauritanie en sont une preuve.

C’est dire combien notre région a pris une certaine LONGUEUR D’AVANCE.

Aussi, d’un simple point de vue rationnel, on ne peut pas défaire un ensemble (15 États) pour bâtir un sous-ensemble (3 États).

Nous devons donc mettre à profit le rapport de force créé pour imposer un nouveau souffle, une nouvelle dynamique, contribuer à perfectionner l’organisation.

Endosser la responsabilité de la partition de cette structure, c’est OFFRIR un cadeau inestimable à la France, et par conséquent à l’impérialisme.

Il ne faut donc pas se tromper de combat.

Une fois n’est pas coutume, le Président TINUBU a raison : la CEDEAO n’est pas un ennemi.

Il faut donc accepter la main tendue du groupe, continuer à œuvrer aux côtés de la diplomatie togolaise, afin d’envisager les voies et moyens de renforcer l’institution.

Entre autres MESURES & ACTIONS à RENÉGOCIER avec l’organisation, préalables à toute réadhésion, il y a : 

La suppression de toutes présences militaires étrangères dans l’espace économique et géographique. À terme, les bases militaires françaises en Côte d’Ivoire et au Sénégal devraient donc être vouées à fermer ;

  • La création à brève échéance d’une monnaie communautaire (ECO). Ce délai ne devrait pas excéder un an, vu l’expertise déjà capitalisée dans la région (Banques Centrales Autonomes au Nigéria, au Ghana, en Guinée, défunte BCEAO, etc.).

Cela entérinerait de facto la mort, de toute façon inévitable, du F.CFA, et annihilerait toutes velléités de division par la France ;

  • La prolongation immédiate des chemins de fer, en vue de désenclaver les pays de l’hinterland (AES) :
  • La dorsale Dakar – Bamako – Ouaga – Niamey ;
  • La dorsale Abidjan – Ouaga – Niamey – Kano ;
  • La dorsale Parakou – Niamey – Ouaga – Bamako ;
  • La dorsale Kano – Maradi – Niamey – Ouaga – Bamako.

Pour cette action, il ne faut surtout pas laisser l’initiative aux pays. Le Niger a fait les frais de l’absence d’anticipation, par les actes désinvoltes d’un Chef d’État qui a confondu le Bénin avec son patrimoine. Il faut donc dépasser le cadre personnel des Chefs d’État et travailler avec des principes, un calendrier contraignant, des procédures écrites et acceptées, dans des Institutions Ad hoc.

  • La création d’une compagnie aérienne internationale, en nationalisant et en fusionnant celles déjà existantes (Nigeria Airways, Air Ivoire, Air Burkina, Air Sénégal, Air Niger, etc.) ;
  • L’effectivité de la libre circulation des biens & des personnes par la suppression systématique de toutes les entraves à la circulation, de toutes les barrières tarifaires et non tarifaires. Toutes les formalités de douane, de police et de sécurité devraient se faire exclusivement aux postes frontières communautaires ;
  • Intégration politique poussée, par la mise en place, la supervision et le contrôle de tout exercice de pouvoir démocratique. Non seulement les constitutions doivent être intégralement respectées, les élections rigoureusement supervisées par des organes indépendants, mais l’exercice du pouvoir constitutionnel doit être également encadré (séparation stricte des pouvoirs), contrôlé (recours à la société civile et à l’opposition) et sanctionné (amender les décisions arbitraires).

Pour ce faire, certaines procédures et tous les litiges nés à l’occasion d’élections doivent être examinés comme en référé (3 à 7 jours maximum).

Si la CEDEAO avait disposé d’un mécanisme de veille aux fins de prévenir et de dénoncer la corruption généralisée, de mettre un frein aux jugements arbitraires, de sanctionner les abus de droit et d’autorité, le Niger n’aurait pas connu ce nième coup d’état, encore moins enduré un embargo économique, financier et politique. Lorsqu’on est une communauté, certains principes doivent être de rigueur :

  • Le droit d’ingérence lorsqu’une nation court de grands périls pour sa cohésion (scandale au MDN) ;
  • Le recours systématique à la Justice Communautaire lorsque les tribunaux nationaux n’offrent plus de garanties suffisantes d’impartialité (cas de Mme Madougou Rékiatou au Bénin, M. Hama Amadou au Niger, litige sur la nationalité de BM) ;
  • La prise en compte, pendant l’exercice du pouvoir démocratique, des avis et recommandations éclairés et objectifs émanant directement du peuple :
  • Société civile et presse indépendante,
  • Professions économiques et sociales (ordres des médecins, avocats, experts divers, notaires, huissiers, etc.) ;
  • Syndicats professionnels ;
  • Organismes religieux ;
  • Conseil des sages ;
  • Association des Chefs Traditionnels ;
  • Mouvements de la jeunesse et représentation féministe.
  • La mutualisation des forces de défense et de sécurité nationales, afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme, le crime organisé, le grand banditisme et l’insécurité ;
  • Assurer l’autonomie et l’indépendance financière totale de l’Organisation. 

Autrement dit, ne plus accepter le moindre subside d’où qu’il vienne, exceptés ceux nés à l’occasion du principe de subsidiarité (UA, ONU) ;

  • Réexaminer tous les accords bilatéraux de coopération signés par la CEDEAO, et n’accorder le rang d’observateurs qu’aux seuls pays reconnus sûrs (Maghreb, Proche & Moyen Orient) et aux seuls organismes crédibles (OCI, UMA, SADC, etc.).

En effet, jusqu’à présent, aucune représentation de la CEDEAO n’est observée pendant les sessions de l’UE ou de l’OTAN. La réciprocité devrait être rigoureusement de mise. 

Pour conclure, il est bon de rappeler que l’administration d’un pays ne se fait pas avec des sentiments, des humeurs et un état d’esprit, mais en ayant à l’esprit les seuls intérêts de la nation.

Reculer, c’est souvent bon pour mieux sauter. 

Par l’effet d’annonce de la sortie de la CEDEAO, l’AES a déjà engrangé une victoire politique et diplomatique à la symbolique forte. 

Ensemble avec le Burkina Faso et le Mali, nous avons réussi à faire plier plus de 11 autres nations, y compris le géant Nigeria, la riche et opulente Côte d’Ivoire, le brillant Sénégal. 

L’Organisation a acté une volte-face inédite. 

C’est un succès remarquable, au crédit de nations malmenées. 

Cependant, nous formons une famille. Et pour cela, nous devons accepter de tendre la perche. 

Nous devons reconsidérer notre position sur la base des conseils de l’illustre Président Yakouba Gowon, et témoigner de notre gratitude et de notre respect au seul allié qui nous a soutenus pendant cet épisode difficile.

 Il faut laisser la médiation togolaise continuer dans sa lancée et avec toute sa VISION. 

C’est, après tout, une marque de reconnaissance envers ce cher pays.

Et c’est aussi mutuellement avantageux.

Bien entendu, cette négociation avec la CEDEAO aurait pour seuls objectifs la REMISE À PLAT des textes, peu importe le temps que cela prendrait, afin de redéfinir une nouvelle orientation de l’Organisation. 

Nous devons savoir raison garder et comprendre que la victoire idéologique, certes belle et encourageante, ne suffit pas ; il faut un satisfecit SOCIAL et ÉCONOMIQUE. 

Sur ce terrain, nous sommes loin du compte. 

Et toute sortie de la CEDEAO ne fera qu’accentuer, du moins à court terme, notre exposition aux fluctuations des cycles économiques. 

Reprenons donc l’électricité de la NEPA qui n’est pas gratuite, acceptons la réouverture de la frontière béninoise, et travaillons à concrétiser le projet du grand barrage de KANDADJI afin d’assurer notre indépendance énergétique, préalable à tout développement.

Bien à tous.

ANZA Oumarou,
Expert-Comptable & Conseil Fiscal Certifié
Bruxelles, Belgique
+ 32 494 38 44 42     

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *