L’africain et son panafricanisme oublié !

Auteur Moctar Laouali

Il fut un temps où l’histoire de l’Afrique se discute à l’Assemblée française. On parle de tout, et même de ce fameux plaidoyer du général Mangin pour préparer et faire de l’Afrique Noire « le réservoir de la puissance française de demain ». L’Allemagne, autrefois une puissance impérialiste, crie au scandale en disant que « c’est une honte pour une nation qui se dit civilisée d’opposer des sauvages à des hommes civilisés. »[1]. Cette Afrique noire, du moins, si nous nous reprenons le terme « des sauvages » est celle qui participa à la liberté de l’Occident, mais que l’Histoire mondiale négligea dans ses livres. L’Africain doit s’imprimer de cette réalité et être fier d’avoir écrit cette libération du monde civilisé.  Selon les conclusions de Marc Michel, l’A-O-F va recruter massivement pendant toute la guerre. On estime à « 200 000 les contingents sous drapeaux pendant la Grande Guerre dont 135 000 combattirent sur le front européen et en Orient »[2]. En matière de représentativité en moyenne, c’est « une proportion de 1,30% de la population (1,73% pour le Sénégal et 1,70 % pour le Haut Sénégal et Niger). »[3]. C’est un fait de l’histoire, « les tirailleurs sénégalais » furent recrutés sur place pour combattre pendant les deux guerres mondiales. Certains d’entre eux ont contribué même à l’achèvement de la conquête française sur le continent africain. L’intérêt pour que l’Afrique devienne libre n’a jamais traversé l’élite française et politique. Pourtant, la fin de la deuxième guerre mondiale va être un tournant pour ce continent qui développe de plus en plus son envie de se détacher du colon pour construire une Afrique libre et souveraine.

   La paix, pour les africains, revient avec un goût amer, pour ceux qui ont combattu un monde qui n’était pas le leur. Les tirailleurs sénégalais servent dans la guerre en Europe de façon directe et indirecte. Directe, car des contingents africains combattront en première ligne avec les soldats français et indirecte dû à la participation de ces contingents pour ravitailler les soldats au front.

   Contextualiser toute l’histoire des « tirailleurs sénégalais » peut même se révéler fausse pour certaines personnes, car peu d’archives décrivent leurs existences pendant les deux Grandes guerres. Peut-être, que si la France a suivi les théories de Mangin sur la force noire parues en 1910, l’Afrique ne serait jamais libre et souveraine. Celui-ci explique notamment que « les troupes noires possèdent de remarquables capacités manœuvrières, en réalité acquises naturellement chez des hommes vivant en pleine nature »[4].C’est un fait, l’homme noir s’adapte très rapidement à son l’environnement, résiste partout où le destin de Dieu l’amène, malgré le peu qu’il a eu où qu’on lui ait appris. De même, l’impérialisme, tant qu’il a subi durant des siècles, a en réalité effacée sa propre leçon de la vie. L’africain eut son histoire africaine, son empire que l’Histoire mondiale peine à accepter.

   Les savoirs de nos sages sont les dictionnaires que nous n’avons pas pu avoir le temps de réécrire dans les livres africains, mais chacun de nous possède une vieille histoire de nos ancêtres qui nous racontèrent comment les blancs conquièrent les terres africaines. La colonisation avec ce projet de civilisation supérieure occidental s’avère fausse comme le précisa Hannah Arendt. Rajoutons que nous constatons toujours un rejet de ce projet de civilisation de l’Occident en Afrique. L’africain trône sa tradition et peine à rejoindre totalement le monde libre. Enfin, nous pouvons dire que la politique libérale de 1989 contribue énormément à une désacralisation du peuple africain. Cet avènement d’un système idéologique démocratique non connu de l’entièreté de la population africaine entraînera des conséquences dans les décennies à venir de l’après indépendance des États africains. Il est important de le préciser, et de se questionner sur la démocratie dans des systèmes imprimés, des régimes autoritaires et des dysfonctionnements du système de la démocratie représentative défendue par les leaders africains.    Bref, ce qui me questionne de plus en plus est les effets des régimes autoritaires sur un peuple qui arrive à peine à prendre le chemin de la démocratie. Selon mes recherches de 2017, on constate au Niger, une non-connaissance de la démocratie, des effets souvent autoritaires dans la manière dont la population réfléchit. L’hypothèse la plus plausible à cette question est la conception d’un monde à partir des systèmes autoritaires parfois appréciés des africains eux-mêmes. Comme le disait Max Weber dans son concept sur l’action sociale, les actions traditionnelles arrivent à s’assimiler pour finalement devenir naturelles chez les personnes. De surcroit, la tradition devient un automatisme et parfois même stop la réflexion intellectuelle. Ainsi, les individus qui procèdent une certaine traditionnelle ont du mal à comprendre la culture et les coutumes des autres nations.

   Toutefois, j’admets que la plupart des personnes interrogées développent une rancune envers les gouvernants actuels à cause principalement des problèmes politiques et économiques. Cela dit, la notion de la démocratie est plus connue dans les universités du Niger. Retenons que la démocratie représentative est très présente dans les écoles et elle est le fruit d’un combat historique pour l’Union scolaire des Nigériens.

   Cette histoire d’acceptation et d’apprentissage de nos valeurs est l’exemple même de la révolution du 4 août 1983.Thomas Sankara se définit dans un travail de masse et de conception de l’identité nationale. Autrement dit, pour le She Guevara africain, le peuple noir doit s’appréhender de sa culture pour son propre développement. Il milita pour son peuple et incarna même l’exemple de cet africain qui était fier de retirer le drapeau français pour se mettre debout devant son drapeau africain.  Ainsi, nous pouvons le dire, Sankara a prédit et a réveillé un panafricanisme réel pour le devenir de l’Afrique.  Comme il le disait, « le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur, il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur. » [5]

Nous pouvons aussi prendre l’exemple de la guerre d’Algérie pour illustrer encore plus le besoin d’indépendance réelle et claire pour un peuple souverain. La bataille d’Alger fut un évènement non préparé pour les Français à l’aune de l’année 1954.Le front de libération nationale (FLN) s’organisa pour déclencher cette guerre d’indépendance et de décolonisation au péril de leur vie. Il est important de le préciser, la libération d’Alger s’est faite avec notamment des divergences énormes au sein même des révolutionnaires. La guerre d’Alger se conçoit à la fois dans un double conflit militaire et diplomatique, mais aussi une double guerre civile. On peut parler, d’une part, entre les communautés et d’autre part à l’intérieur des communautés. Ce qui compte finalement, l’Algérie s’est libérée de l’impérialisme français avec une perte énorme en vie humain. N’est-il pas le prix de la liberté pour qu’elle aspire à une véritable indépendance souveraine ? Oui, pour acquérir le bonheur d’une nation, parfois il faut des hommes forts qui sont prêts à se sacrifier pour un avenir en commun. C’est dans ce cas, selon moi, un combat panafricaniste doit se résumer. D’une part, il faut l‘acceptation de notre propre histoire africaine noire et d’autre part, la génération future doit corriger les échecs de nos anciens pour réinventer l’avenir africain de demain.

   Voilà, ce sentiment de panafricanisme oublié par nos anciens dirigeants de l’Afrique noire et même ceux d’aujourd’hui. Certes, certains leaders noirs ont essayé, mais l’exemple de la libération de l’Algérie démontre une union sacrée des Algériens dans cette lutte pour l’indépendance. Osons le dire, la France a eu la mainmise dans pratiquement chaque colonie de l’A-O-F. Disons-le encore, c’est avec la complicité de nos congénères que l’Histoire contemporaine africaine est souvent bafouée dans le monde. Et enfin, osons le dire, l’Afrique a été trahie par beaucoup de dirigeants africains noirs. Ce panafricanisme tant que nous désirons de nos jours, doit se retrouver dans nos veines dès la conception de nos États africains. Nous avons eu notre propre histoire, certains d’entre nous ont contribué à son effacement sauvagement du monde des réels.  C’est triste, mais c’est une réalité, l’africain doit arrêter de se plaindre et de se diviser pour qu’il arrive enfin à former un seul combat panafricaniste. Notre histoire d’abord africaine se trouve dans la connaissance de notre propre culture et la sauvegarde de celle-ci. Ce courant politique est en réalité ancré en nous depuis notre apparition dans ce monde. Le seul souci, ce que jusqu’à présent, nous cherchons à le définir correctement. Aujourd’hui, ce modèle politique se définit selon moi comme un nationalisme africain dans un monde interconnecté. Notre seul combat de maintenant est de savoir comment l’utiliser pour éviter que cela nous conduit à notre perte humaine. Bref, ce panafricanisme oublié par les africains est en définitive, le réveil africain sur le continent et les retrouvailles avec notre propre manière de faire et de vivre ancestrale. Nous le verrons plus tard, notre histoire nigérienne a été influencée dans sa préparation de son indépendance. Tout commence avec la conférence de Brazzaville le 30 janvier 1944 sur les colonies françaises. Le Niger réclame lui aussi son indépendance.

Auteur du texte


[1] SALETES Jean-Loup, « Les tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre et la codification d’un racisme ordinaire », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2011/4 (n° 244), p. 129-140.

[2] Ibid

[3] Ibid

[4] FARGETTAS Julien, « Les tirailleurs sénégalais dans l’effort de guerre français », dans : , Les Tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités 1939-1945, sous la direction de FARGETTAS Julien. Paris, Tallandier, « Hors collection », 2012, p. 29-62.

[5] Citation de sankara

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